A Clinchamp, les rêves des villageois sont brefs, lourds,
pragmatiques.
Là-bas, au centre des préoccupations agricoles, on espère des récoltes
fabuleuses, des jours plats et des nuits creuses.
Les tempêtes d'artifices des dimanches festifs et les tambours des coeurs
en joie, c'est bien beau mais ce n'est guère rentable. Aussi mauvais pour la
paix des hommes que pour la pérennité du sillon. Une pure perte de temps, un
vrai gaspillage d'énergie et des dépenses bien futiles ! Ce n'est pas en dansant
dans les champs qu'on les fait germer mais en s'y échinant du matin au soir
!
Bref, il faut attendre de la population locale peu de pensées et beaucoup
d'actes. Il en va de l'avenir économique de cette contrée ensevelie dans
l'indifférence générale. Les habitants de ce village enfoui sous les
ronces de l'ennui ne sont pas des rigolos mais des adeptes du boulot. Pas des
rêveurs mais des trimeurs. Pas des poètes mais des réalistes avec les pieds bien enfoncés dans le concret.
Certes, il s'en passe des choses dans ce trou du fin fond de la Haute-Marne,
derrière le voile trompeur du quotidien... Et de belles encore ! Sauf que les
hôtes de ces terres ternes ont l'esprit trop éloigné de toutes ces merveilles
pour les voir, collé à leurs sabots pour le dire en vérité. Les gens de ce pays
oublié, engloutis dans les brumes des journées ordinaires, disparus dans des
horizons sans nom, rendus invisibles à force de se fondre avec les platitudes de
la vie, sont pourtant proches de ces légèretés pleines d'éclat.
On ne regarde pas en l'air dans ce coin perdu de la province de l'est de la France, on s'attarde plutôt lourdement sur ce qui se passe au niveau du strict plancher des vaches ! N'importe ! Les esthètes égarés en ces lieux sont contents quand même. Que les bovins et les humains les ignorent ou non, les beautés du ciel brillent néanmoins au-dessus de leurs museaux. Et c'est cela qui compte aux yeux des observateurs avisés : sentir le subtil azur sous les plus grossières allures, percevoir des fines étoiles sous les trognes les plus brutes, découvrir du bleu là où l'on ne trouve au premier abord que du fumier aux vapeurs triviales.
C'est précisément cela qui m'enchante dans ce royaume aux mille pesanteurs : même les fumées sombres et malodorantes qui en sortent sont, comme de vagues songes de l'aube, teintées de clartés célestes.
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